"Les activités récentes de l'UR au Sénégal : projet AFD de capitalisation outils fonciers de la Vallée

Accompagnement public à la gestion territoriale décentralisée : quels enseignements tirer des deux décennies d’appuis dans la Vallée du fleuve Sénégal ?

Les textes sénégalais ont prévu les outils nécessaires à la mise en oeuvre d’une gestion foncière et territoriale au niveau des communautés rurales, mais ces instruments n’ont jamais été concrètement définis et mis en place : la procédure de dossiers et registres fonciers prévus dans les textes n’a jamais été mise en oeuvre, de même que les Poas, eux-aussi prévus dans les textes, tandis que les administrations territoriales locales n’ont jamais défini pour chaque département les types de mise en valeur reconnue pour l’affectation des terres. Les collectivités locales ne disposent donc pas du minimum d’outils et d’accompagnements qui leur permettrait d’administrer correctement leurs terres et territoire : connaissance fine des textes et du paysage institutionnel de la décentralisation, maîtrise des procédures techniques d’administration des terres, capacités de diagnostic territorial à moyen et long terme, enfin maîtrise des outils de concertation permettant d’impliquer les populations dans la mise en oeuvre et le respect des règles de gestion.

Sur le terrain, ces faiblesses ouvrent la voie à des interprétations et des pratiques variables. Les dérives sont multiples : des conseils ruraux qui affectent plus de superficie que celle de leur territoire, plusieurs affectations concernant un même espace, des affectations réalisées sans enregistrement ou procédure de contrôle, des zones règlementées (forêt classée, piste à bétail peu respectées, etc. L’absence de registre foncier engendre une insécurité foncière des affectataires, car seule l’inscription dans ce registre aurait valu preuve en matière de droit d’usage. Le critère de mise en valeur n’étant pas défini, la procédure d’affectation est le plus souvent utilisée comme forme de reconnaissance d’une occupation traditionnelle de la parcelle. Ainsi actuellement dans la Vallée l’arrivée massive et peu contrôlée de l’agribusiness entraîne une inflation de demandes d’affectation de la part des populations locales, de façon à enregistrer leurs droits locaux d’occupation. Ces dysfonctionnements obèrent fortement la sécurité foncière que peut procurer une affectation et provoquent des litiges et conflits qui fragilisent localement la paix sociale comme la durabilité des formes d’exploitation du territoire.

La plus grande partie de l’insécurité foncière et des dysfonctionnements de la gestion territoriale décentralisée ne vient donc pas des textes et de la nature du droit foncier en vigueur (affectation, titre…), mais bien de l’absence des instruments nécessaires pour la mise en application effective des procédures d’administration foncière et territoriale. C’est la mise en oeuvre de ce type d’instruments qui est expérimentée depuis deux décennies Dans la vallée du Sénégal.

DANS LA VALLÉE, DEUX DÉCENNIES D’INSTRUMENTATIONS AU SERVICE D’UNE GESTION FONCIÈRE ET TERRITORIALE LOCALE

L’intérêt de parachever la décentralisation de la gestion territoriale est particulièrement exacerbé lorsque la valeur de la terre est considérable, comme dans la vallée du fleuve Sénégal. C’est pourquoi dès le début des années 90, la SAED a mis en place, avec le soutien de la France et du Cirad, un système d’information géographique sur les aménagements, première source spatialisée fine sur la mise en valeur agricole (irriguée).

À la fin des années 90, cette information géographique a été intégrée, par une équipe Cirad-Isra-Saed dans une procédure de conception participative de POAS, adaptée aux ressources et capacités des communautés rurales de la Vallée. La démarche permet à la collectivité locale de maîtriser en quelques mois la mise en place d’un POAS, avec l’appui d’une équipe légère régionale. Ce type de Poas procure une sécurisation des activités paysannes. Les zonages cartographiques qu’il contient aident à rendre plus effectives les politiques locales de développement. Enfin, sa mise en oeuvre aide chaque acteur local de la décentralisation (élus, services techniques, administration territoriale, mais aussi populations) à mieux appréhender leur nouveau rôle.

Puis, un outil de gestion des procédures foncières à la portée des communautés rurales (Système d’Information Foncière -SIF-) a été expérimenté à partir de 2009, se rajoutant à la procédure POAS déjà maîtrisée par les communautés rurales. Ce système met en place une gestion décentralisée des attributions foncières à la fois opérationnelle et pérenne (car localement autonome), qui facilite transparence, traçabilité, concertation et amène ainsi une forte diminution des litiges. A l’heure actuelle, il permet de gérer les affectations pour mise en valeur, mais il est adaptable à d’autres natures de droit foncier dont la distribution serait gérée de façon décentralisée. La procédure intègre les quelques formations nécessaires à l’administration autonome par les collectivités locales (élus, agents de la collectivité et services étatiques d’appui), accompagnement qui intègre les améliorations nécessaires du fonctionnement interne de la collectivité en ce qui concerne la gestion des affectations foncières.

Au-delà de la gestion de l’utilisation des terres qu’il permette, ces deux outils permettent une amélioration progressive de la politique territoriale et foncière locale, grâce à une clarification de l’information géographique et foncière. En parallèle, afin de clarifier la notion de mise en valeur en zone irriguée, une procédure concertée et contractuelle de définition d’une norme de mise en valeur (Charte du Domaine Irrigué –CDI-) est mise en oeuvre par la SAED. La norme de mise en valeur y est définie en concertation entre l’attributaire d’une parcelle irriguée, la collectivité locale et l’État. L’intérêt de cette procédure spécifique de concertation est d’obtenir une définition de normes de mises en valeur qui soit adaptée à chaque contexte local et acceptée par les exploitants locaux. Ce type de normalisation contractuelle et décentralisée peut être utile partout où l’État est en droit de demander, en contrepartie des investissements structurants qu’il doit fournir (aménagements hydroagricoles, hydraulique pastorale, soutien à des filières, etc.), un engagement sur des formes de mise en valeur plus intensives.

La mise en place des outils évoqués supra constituent un considérable progrès dans la capacité des collectivités locales à gérer leur territoire. Cependant l’expérience de mise en oeuvre de ces outils dans la Vallée a abouti à la mise en place d’une formule institutionnelle d’accompagnement souple, réactive, et adaptée aux besoins variables et évolutifs selon les collectivités locales, tout en étant permettant un développement à grande échelle (régional) des capacités locales : un centre interprofessionnel régional encadrant des accompagnements ciblés et évolutifs, qui sont confiés à des prestataires locaux. Ce type de formule souple permet de proposer en seulement trois modules prioritaires de formation un transfert minimal mais suffisant auprès des acteurs des collectivités locales (élus, personnel technique et administratif des collectivités, agents techniques en appui au sous-préfet,…).

Aujourd’hui, il paraît utile de mieux faire connaître ces réussites à l’échelle du Sénégal, en particulier en cette année 2014 où elles pourraient renforcer l’Acte III de la Décentralisation. Sous quelle forme les acquis de la Vallée pourraient être avantageusement insérés dans l’instrumentation des politiques publiques sénégalaises ? Les instruments et procédures mis en oeuvre ont abouti en quelques années à une gestion territoriale et foncière décentralisée beaucoup plus opérationnelle et autonome. Une mise en oeuvre à l’échelle nationale de ces résultats pourrait se dessiner (diffusion à l’échelle nationale des résultats, mise en place de (centres interprofessionnels régionaux d’accompagnement, renforcement juridique des instruments expérimentés (dont ceux concernant le foncier), qui pourraient faire l’objet de nouveaux textes juridiques, fiscalité locale complétées par des mécanismes innovants… : voir détails dans le rapport de synthèse), mais cette première formulation reste sûrement imparfaite. Seuls les acteurs nationaux des politiques publiques peuvent en juger. C’est pourquoi va être organisée une analyse par les acteurs nationaux en quatre ateliers (ministères techniques, collectivités locales, secteur privé et société civile), afin de mettre en commun expériences et propositions des participants, et dont les conclusions seront ensuite restituées lors d’une conférence sous régionale.

  

Publiée : 20/03/2014